DMP : omission partagée du pragmatisme
mai 2008
Le masquage des données placées dans le dossier médical personnel (DMP) n’a pas fait l’objet d’une activité éditoriale frénétique dans la presse dite grand public. Seul le journal La Croix y a consacré un long article, signé par Pierre Bienvault, résumant excellement les données du problème. « Un patient peut-il « masquer », seul et sans l’avis de son médecin, certaines informations contenues dans son dossier médical personnel ? (…) Ces informations seront introduites par des professionnels de santé désignés par le patient, qui est propriétaire de son dossier. Le patient pourra refuser l’accès de son dossier à un médecin, mais il sera alors moins bien remboursé de ses frais de consultation. »
De plus, « Pour les associations, il faut que le patient dispose d’un « droit au masquage », c’est-à-dire qu’il puisse, dans certaines circonstances, occulter certaines informations de son dossier. » L’article souligne que la plupart des associations et syndicats de médecins sont favorables à ce droit, les urgentistes étant cependant plus réservés. Il cite le Professeur Patrick Goldstein (responsable du Samu de Lille et président de la Société française de médecine d’urgence), pour qui « il faudrait prévoir, au minimum, une possibilité de « démasquage complet du dossier » pour des médecins qui interviennent sur une urgence vitale pour un patient hors d’état de s’exprimer. »
« Les associations plaident pour le droit à un « masquage solitaire », le droit pour le patient d’intervenir seul dans son dossier, directement par Internet. » Un sondage Ipsos demandé par le CISS (Collectif interassociatif sur la santé) et publié par Libération montre que leur point de vue semble largement partagé par la population : « trois Français sur quatre (76 %) estiment qu’il est « souhaitable », voire « primordial », qu’ils soient les seuls à choisir les informations consultables sur leur dossier médical. »
Mais, pour le docteur Michel Chassang, président de la CSMF, cité par La Croix, « Si un patient souhaite masquer une information, cela doit se faire en concertation avec son médecin. Ce ne serait pas une bonne chose que des patients se mettent à bidouiller leur dossier, seuls devant leur ordinateur. »
Le rapport demandé au député UMP (Val de Marne) Pierre-Louis Fagniez par le Ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a satisfait tout le monde, en introduisant une notion supplémentaire, fort bien expliquée par Pierre-Yves Poindron dans le Panorama du médecin : l’omission partagée. En effet, « le signalement du masquage, qui consiste à mentionner sur le dossier qu’il est incomplet, n’est guère satisfaisant. Il introduit un élément de suspicion et de défiance vis-à-vis du patient de nature à compromettre le colloque singulier. » Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites ! Le député propose donc que « la décision de ne pas inscrire une information resterait au malade, mais elle serait éclairée par le médecin quant à ses éventuelles conséquences médicales. » « Il n’y a aucun risque que la responsabilité du médecin soit engagée s’il a agi à la demande du patient. » Ouf !
Cette discussion fondamentale a pourtant un côté surréaliste : il a été discrètement mais largement fait état dans la presse que la CNIL s’oppose à ce que le numéro de sécurité sociale soit utilisé comme identifiant pour le DMP et qu’elle propose la création d’un numéro d’identification spécifique, pour assurer la sécurité de la confidentialité des données. Annoncé de façon encore plus discrète, sur le magazine internet spécialisé en informatique Zdnet, puis dans le Quotidien du médecin du 1er mars, la conséquence en est que le lancement du DMP est reporté en 2008. Surprise ? pour les lecteurs du site Fulmedico, certainement pas. Il suffira de se reporter à l’entretien donné par un de ses principaux animateurs, Jacques Fraslin, dans le Concours Médical pour s’en convaincre. Où l’on réalisera que les problèmes « bêtement » pratiques prennent souvent le pas sur les envolées éthiques. Et que 2008 risque d’être une date optimiste.
La Croix. 12 février 2007.
Panorama du médecin. 5 février 2007.
Libération. 1er mars 2007.
Quotidien du médecin. 1er mars 2007.
Concours Médical. 6 mars 2007.